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Otto Rank : dissensions au sein du Comité
Traduction de Liliane Salvadori
2 Octobre 2006
La Constitution du Comité avait permis à Freud de partager ses propres découvertes avec des collaborateurs qui avaient démontré durant un certain temps, quil était possible de gérer dune manière satisfaisante la propre ambivalence à légard du Maître et de la psychanalyse. Lharmonie qui durant 20 ans avait lié les six membres fut pourtant mise à une dure épreuve au cours de 1923, à tel point que la dissolution du groupe fut effleurée. Le malaise naquit à cause du désaccord existant entre Rank et Jones au sujet de la question éditoriale. La distance géographique entre les deux y était pour une bonne part, surtout lorsque en 1919 ils tentèrent de fonder la « English Press » pour soutenir la « Verlag ». Les difficultés qui durent être affrontées après la guerre furent innombrables mais, par-dessus tout, la dévaluation de la monnaie qui fut à lorigine dune augmentation des prix et la lenteur des moyens de communication à qui étaient confiées leur correspondance eurent un poids déterminant.
Les difficultés dordre pratique ne manquaient pas : Rank par exemple devait se procurer les caractères dimprimerie dans les endroits les plus étranges, acheter le papier et la ficelle, préparer les paquets pour lexpédition, il portait personnellement les colis à la Poste. De plus, les articles devaient être traduits en anglais parce quaprès la guerre, les Anglais répondaient avec hostilité à la vieille haine que les Allemands avaient nourrie à leur égard. Cela les amenait à envoyer les brouillons à Londres afin que Jones en prenne connaissance, sans parler des retards bien compréhensibles.
Dans un premier temps, Rank soccupa des traductions mais il nétait pas à la hauteur de la tâche ne possédant pas une absolue maîtrise de langlais ; pour cette raison Eric Hiller, lassistant éditeur de Jones fut envoyé par Londres, Eric Hiller pouvait compter à Vienne sur la disponibilité dAnna Freud. Les années 1921 et 1922 furent des années difficiles pour les psychanalystes qui pratiquaient à Londres. Une situation de méfiance à leur égard sétait créée à tel point quil fut demandé à un organe officiel, le Conseil Médical Général denquêter sur leur façon de travailler. La British Medical Association garda le silence sur ces tentatives malveillantes les considérant privées de tout fondement.
Les rapports entre Jones et Rank continuèrent à se détériorer, Rank tenta de déprécier Jones aux yeux de Freud et dinterférer dans lorganisation du Congrès de Berlin de 1922, Congrès pour lequel Abraham était en grande partie responsable.
La difficulté de Rank à créer un rapport avec Jones devient manifeste lorsque, durant la réunion du Comité tenue fin Août en 1923, il accusa Jones pour une présumée impolitesse, demandant limmédiate expulsion du Comité. Nonobstant le fait que Jones ne se souvenait pas de lincident il présenta des excuses au collègue avec lintention de modérer les tons : les excuses furent refusées et les autres membres sopposèrent à la demande dexpulsion. Abraham, devint le nouvel objet de la rancune du fait quil avait pris la défense de Jones.
Vers la fin de 1923, à linsu des membres du Comité, à lexception de Freud, fut publié le texte de Ferenczi et de Rank « Le développement de la psychanalyse » et peu après le livre de Rank « Le trauma de la naissance » que ni Freud ni Ferenczi avait lu malgré le fait quils connaissaient les intentions de lauteur. Freud avait longuement médité sur largument inhérent à la naissance parce quil retenait quun tel processus mettant le ftus en danger de mort par suffocation, devint le prototype de toutes les attaques dangoisse successives.
Rank attribuait à un tel événement le statut de trauma faisant remonter jusquà lui les efforts successifs mis en acte par lindividu pour léliminer faisant remonter donc lorigine des névroses à linsuccès de la tentative. Dans le livre, lauteur rappelait le conflit psychique dans le rapport entre mère et fils, évaluant le conflit avec le père y compris le Complexe ddipe comme une forme masquée du trauma de la naissance. Selon Rank, lobjectif que le traitement psychanalytique devait se fixer était celui de pousser le patient, à travers le transfert, à recréer la situation de la naissance.
En 1923, Freud exprima sa perplexité à Sachs eu égard à larticle de Rank et lorsquil eut connaissance du scepticisme des membres du Comité, il envoya la lettre suivante sous forme de circulaire:
Vienne, le 15 Février 1924
Chers Amis,
Jai appris de sources diverses, non sans stupeur, que les récentes publications de nos Ferenczi et Rank je me réfère à leur travail commun et à celui sur le trauma de la naissance ont suscité un déplaisir non moindre et donné lieu à des discussions
La thérapie active de Ferenczi constitue une tentation risquée pour les débutants ambitieux et il est très difficile de les empêcher de faire de semblables expériences. Je ne désire même pas cacher une autre de mes impressions ou préjudice. Durant ma récente maladie jai appris quune barbe rasée avait besoin de six semaines pour repousser : trois mois se sont écoulés depuis ma dernière opération et je souffre encore des changements intervenus dans le tissus cicatriciel. Il mest donc difficile de croire que dans un délai à peine plus long, de quatre à cinq mois, lon puisse pénétrer dans les couches plus profondes de linconscient et réaliser des changements durables de la psyché. Naturellement je minclinerai à lexpérience
Pour ce qui est du second libre, sans aucun doute plus intéressant, le Trauma de la naissance (de Rank), je nhésite pas à dire que cette uvre, très significative, ma beaucoup porté à penser et je ne suis pas encore parvenu à un jugement définitif à son sujet. Nous connaissons depuis longtemps les fantasmes utérins et nous en avons reconnu limportance, mais mis au premier plan ainsi que la fait Rank, ils acquièrent une signification bien plus profonde et révèlent en un éclair le fond biologique du complexe ddipe. Je le répèterai avec mes mots : au trauma de la naissance quelque instinct, qui tend à rétablir lexistence précédente doit sassocier. On peut lappeler besoin instinctif de bonheur, jentends que le concept de « bonheur » est utilisé pour le plus dans un sens érotique. Rank va outre la psychopathologie et démontre que les hommes altèrent le monde externe au service dun tel instinct alors que les névrotiques sévitent cette peine, empruntant le raccourci permettant de fantasmer sur un retour à lutérus. Si à la conception de Rank lon ajoute celle de Ferenczi, quun homme peut être représenté par ses organes génitaux, alors nous obtenons pour la première fois une dérivation du normal instinct sexuel qui coïncide avec notre concept du monde. Voilà, à présent quapparaissent les difficultés : à ce retour fantastique à lutérus lon oppose des obstacles qui évoquent langoisse : par exemple les barrière contre linceste : à présent doù proviennent ces dernières ? Leur représentant est le père, réelle, autorité qui interdit linceste. Pourquoi des barrières ont-elles été dressées contre linceste ? Mon explication était dordre historique, sociale, phylogénétique : je faisais dériver les barrières contre linceste à partir de lhistoire primordiale de la famille humaine et je retrouvais chez le père daujourdhui, lobstacle qui érige à nouveau une barrière contre linceste. A ce sujet, Rank nest pas daccord avec moi : il refuse de considérer la phylogenèse et craint, anxieux que lon oppose à linceste une simple répétition de langoisse lors de la naissance pour laquelle, le refoulement névrotique est intimement conditionné par la nature du processus de la naissance. Cette angoisse il est vrai, est transférée sur le père, mais selon Rank, le père est seulement un prétexte. En fait, lon retient que lattitude au sujet de lutérus ou du sexe de la femme est ambiguë et ce, depuis le début. Et voilà le point de départ de la contradiction. Lorsque jajouterai quen ce qui me concerne je ne trouve pas clair linterprétation prématurée du transfert comme attachement à la mère puisse contribuer à abréger une analyse, je vous aurai donné une interprétation fidèle de mon attitude concernant les deux travaux en question. Je les apprécie énormément, je les accepte même en partie, jai mes doutes et mes perplexités sur différents points de leur contenu, jespère que ces derniers seront élucidés après dultérieures réflexions. Pardonnez ma prolixité : peut être aura-t-elle aura servi à vous priver de votre désir de me pousser à exprimer des opinions sur des questions que vous pouvez de toutes façons juger vous-mêmes.
Freud 1
Cette lettre ne changea rien à lopinion dAbraham qui considérait les deux travaux comme le signe dune régression scientifique, comme celle précédemment effectuée par Jung et se proposant den discuter avec les membres du comité avant le Congrès dAvril. La rancune de Rank saggrava lorsque Freud lui fit part des considérations exprimées par Abraham. Tout cela poussa Rank à demander la dissolution du Comité. Durant le Congrès, Jones et Abraham réussirent à rétablir à travers une explication un rapport harmonieux avec Ferenczi pendant que Rank abandonnait vexé le siège du Congrès pour effectuer un voyage aux Etats-Unis. Il avait répondu à linvitation, en qualité de collaborateur de Freud, de Thaddeus H. Ames qui était alors Président de la Société de New York, dans le but dorganiser des conférences à la demande des principales sociétés de neurologie. A cette occasion, Rank ne put cacher sa déception davoir été pénalisé en neffectuant pas une analyse personnelle : lambivalence et lagressivité jusquà présent évitées éclatèrent dune façon qui ne laissait planer aucun équivoque durant le séjour en Amérique. Usant une pléthore darguments, il soutint que la psychanalyse avait été désormais dépassée par les nouvelles découvertes et quen plus, il était possible de la conduire à bonne fin en deux ou trois mois.
Avec une honnêteté irréprochable, Freud exprimera sa contrariété dans la lettre suivante adressée à Ferenczi:
« Il est clair à présent que depuis le début Rank avait lintention de suivre sa façon de procéder déjà tracée et quil tenait cependant cachée ; il voulait que vous vous unissiez à lui. Je métonne que vous ayez autant progressé dans cette affaire secrète. Dans mon ingénuité je nai jamais pensé que vous vous pouviez être dissimulateur à ce point !
A présent il me semble que Rank ressemble à lemployé des Travailleurs de la Mer de Victor Hugo : on acquiert une grande confiance au cours dannées de conduite exemplaire pour pouvoir puis retirer une somme énorme. Je comprends le fait de bouillir de colère. Il mest encore difficile de croire que les suspects de Jones étaient aussi fondés. Mais il est également difficile de penser différemment avec tous les indices que nous avons
Si les choses sont réellement ce quelles sont il nest pas digne ni souhaitable de chercher à le retenir ». 2
Lépilogue de ce fait se vérifia lorsque Rank fut en proie à un sévère état dépressif qui lamena à rencontrer Freud qui lui réserva le même accueil quil réservait à son ami et élève.
Le 20 Décembre 1924, Rank envoya une lettre aux membres du Comité dans laquelle il sexcusait pour ce quil sétait passé et expliquant de plus, que lhostilité manifestée à légard de Freud était consécutive à la prise de conscience de la grave maladie du Maître.
Rank repartit pour lAmérique le 7 Janvier 1925 et Freud écrivit à Brill afin quil suive son collègue durant son travail ; malheureusement à cause de ses conditions de santé Rank dût retourner, seulement deux semaines après son arrivée. Il effectua par la suite un autre voyage aux Etats-Unis mais le rapport entre Freud et Rank était désormais compromis. Une seule allusion fut faite par Freud en 1937 au sujet de cette situation, à propos des analyses brèves et des indubitables difficultés quelles entraînaient, critiquant ce quavait exprimé Rank (la possibilité de mener à bonne fin une analyse en peu de mois).
« On ne peut nier que le fil de la pensée de Rank était audacieux et ingénieux, mais il na pas résisté à lépreuve dun examen critique. Il fut conçu sous le stress de la confrontation entre la misère post-belliqueuse de lEurope et la « prospérité » américaine et était destiné à accélérer les temps de la thérapie analytique pour sadapter à limpétuosité de la vie américaine. Nous avons peu appris des résultats du plan de Rank. Probablement il na pas obtenu plus que ce quil aurait gagné si des pompiers appelés pour un incendie causé par une lampe à pétrole qui ne fonctionne pas, se contentaient de retirer la lampe de la pièce dans laquelle lincendie a éclaté.. Certainement cela demanderait beaucoup moins de temps que déteindre complètement lincendie ». 3
© Rossana Ceccarelli
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Note:
1 Ernest Jones Vita e opere di Freud, lultima fase 1919-1939 Il Saggiatore.
2 Ernest Jones Vita e opere di Freud, lultima fase 1919-1939 Il Saggiatore.
Ernest Jones Vita e opere di Freud, lultima fase 1919-1939 Il Saggiatore.
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