Rosalind Franklin et le Nobel contesté
Traduction de Liliane Salvadori
5 janvier 2008
«Tu considères la science (ou du moins c’est ainsi que tu en parles) comme une sorte d’invention humaine qui peut nuire à la morale et qui est sans rapport avec la vie réelle, une invention qui doit rester sous contrôle et hors de la vie quotidienne. Mais la science et la vie quotidienne ne peuvent et ne doivent pas être séparées. Pour moi la science fournit une explication partielle de la vie. Dans la mesure du possible la science est basée sur des faits, sur l’expérience et sur l’expérimentation. Je suis d’accord que la foi est absolument nécessaire afin de réussir dans la vie. Selon mon point de vue la foi réside dans la conviction qu’au plus nous ferons de notre mieux au plus nous nous rapprocherons de l’objectif et que cet objectif (l’amélioration de tout le genre humain présent et futur) est un bien digne qui mérite d’être rejoint».
Ce sont les mots que Rosalind Franklin, alors étudiante à Cambridge écrivait à son père. Rosalind naquit en 1920 – fille de famille riche et instruite, d’origine hébraïque; dotée d’un caractère bien trempé et très déterminé elle avait dès l’âge de 15 ans décidé de son futur: elle voulait être « savant ». Elle n’ignorait pas que cela ne serait pas aisé – en premier lieu parce qu’elle était une femme et ensuite parce que qu’elle était consciente des limites que pouvaient représenter ses origines. Une fois licenciée en physique/chimie elle se concentra sur les études du carbone et de biophysique étant dotée d’une incroyable habileté dans la photographie à rayons X. Le fait qu’elle était une femme – évoluant dans cette ambiance extrêmement masculine de la science de l’époque – d’origine hébraïque de surcroît – ne la favorisait pas. Elle était indiscutablement très intelligente et dotée d’une forte conscience politique et était riche de surcroît.
Rosalind Franklin travailla durant 27 mois dans le Département de biophysique du King’s College de Londres, département qui était dirigé par Maurice Wilkins. A cette époque Watson et Crick étaient en compétition ainsi que d’autres groupes de chercheurs parmi lesquels celui de Wilkins – Etude du DNA. Wilkins se plaignait souvent de sa collaboratrice auprès de Watson et Crick, prétendant que Rosalind était une entrave dans ses travaux ; les trois (Watson, Crick et Wilkins) l’avaient surnommée «La Dame triste» - surnom bien peu flatteur qui fût découvert dans les messages privés qu’ils ont échangé au fil des années.
Mais aujourd’hui peu de gens savent que ce fût justement grâce au travail de cette « Dame triste » que Watson, Crick et Wilkins parvinrent à la découverte qui a révolutionné la science du 20ème Siècle.
«Il n’a pas échappé à notre attention que l’appariement spécifique que nous avons démontré suggère immédiatement un mécanisme possible de reduplication du matériel génétique».
Avec ces paroles, le 15 Avril 1953, James Watson et Francis Crick par un article publié sur la Revue « Nature », annoncèrent au monde la découverte de la double hélice du DNA.
Tous savent ce qu’est la double hélice; bien peu sont au courant de l’importance fondamentale de cette découverte faite par Rosalind. Ainsi que nous l’avons déjà dit elle était particulièrement habile dans le domaine de la photo à rayons X. Et ce fût justement grâce à une photographie que Watson et Crick eurent l’intuition que le DNA avait effectivement une forme hélicoïdale double.
La radiographie de la forme B du DNA (n° 51) et l’élaboration mathématique de l’image, résultats obtenus par Rosalind se révélèrent aux deux futurs prix Nobel grâce à Wilkins qui leur montra l’image après l’avoir subtilisée (dans le laboratoire de Rosalind) sans qu’elle ait été mise au courant et naturellement sans son consentement.
Parler de vol peut paraître excessif, pourtant dans la réalité les faits se sont bien déroulés ainsi.
Grâce aux informations obtenues et à leurs connaissances, aidés par la lecture du livre de Max Perutz qui résumait le travail des principaux chercheurs du Centre parmi lesquels Rosalind, Watson et Crick parvinrent à la découverte qui leur valut le Prix Nobel, découverte à laquelle la Savante serait parvenue seule peu de temps après.
En février 1953 dans son Agenda, Rosalind écrivait : «Le DNA est composé de deux chaînes distinctes». En Mars de la même année, bien qu’entourée de collaborateurs et de collègues qui l’estimaient profondément et qui reconnaissaient sa valeur intellectuelle, et parce qu’elle souffrait dans cette ambiance scientifique où elle vivait, elle quitta le King’s College de Londres et entra à Birbeck, une autre Université londonienne où elle travailla durant cinq années très productives, dirigée par l’illustre physicien John Desmond Bernal.
La «Dame triste» abandonna les laboratoires de Cambridge peu de temps avant que Watson et Cricks proclament leur découverte. Rosalind Franklin ne sut jamais que cette découverte à laquelle elle avait tant travaillé était en fait le fruit de son labeur et qu’en quelque sorte elle avait favorisé l’obtention par Watson et Cricks de ce Prix Nobel. Elle mourut à 38 ans terrassée par un cancer des ovaires.
Dans toute sa correspondance il n’a jamais été fait référence à l’amertume éprouvée pour cette découverte faite par ses collègues grâce à son travail, elle s’était consacrée et ce jusqu’à sa mort sur les études du virus «Mosaïque» du tabac – et les résultats de ses recherches étaient excellents, elle conserva avec Crick et sa femme de très bons rapports, passant une grande partie de son temps de convalescence en leur compagnie.
Son nom a commencé à être connu après la publication du livre de Watson «La Double hélice» en 1968 ; Watson donne une description peu flatteuse de Rosalind, la décrivant comme la terrible Rosy possédant un «intellectuel irascible et peu féminin». A dater de la publication du livre, Rosalind est devenue un symbole féministe, la femme qui s’est vu nier la reconnaissance de son talent pendant que la gloire revenait à ses collègues du sexe masculin.
En réalité, cette «idéalisation» ne lui rend pas justice car l’on parlera toujours d’elle, Rosalind, comme «cette Chercheuse qui n’a pas reçu le Prix Nobel tout simplement parce qu’elle était une femme», et risque de faire perdre de vue les brillants résultats qu’elle a néanmoins obtenus durant sa féconde mais brève vie.
Peut-être que si elle avait vécu un peu plus longtemps elle se serait battu afin que lui soit reconnu le mérite auquel elle avait droit, peut être que l’ «Histoire» aurait revu et corrigé son jugement et inclus son nom parmi les autres «Nobel», parmi ses collègues. Il est certain qu’avec des «si» et des «peut-être» on ne peut réécrire l’Histoire !
Nous concluons donc reprenant les paroles mélancoliques avec lesquelles le Professeur Bernal évoqua Rosalind Franklin après sa mort:
"Comme «Savant» Mademoiselle Franklin s’est distinguée par l’extrême clarté et l’excellence de son travail dans tous les domaines auxquels elle s’était dédiée. Ses photographies sont parmi les plus belles images de Rayons X jamais obtenues d’une substance".
© Maria Cristina Onorati
Référence bibliographique:
Brenda Maddox, Rosalind Franklin: The Dark Lady of DNA, HarperCollins, 2003
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