dipe : représentation antropomorphique du conflit vital
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Traduction de Liliane Salvadori
Le mythe ddipe, bien que, en versions et formes diverses, est un mythe commun aux populations du monde et pour parvenir à une telle universalité, il a acquis une importance capitale auprès des chercheurs qui soccupent de sciences humaines. Essayons de suivre son évolution. Le Roi Laio, exilé à la Cour du Roi Pelope à Pise séprit du fils du Roi, Crisippo, et le kidnappa. Pour ce geste toute sa descendance fut maudite La première observation quil est possible de faire est que dipe expie un fait qui ne concerne pas son histoire mais celle de sa famille : le mythe, en fait, commence avant son existence ontogénétique. Il appartient à une descendance maudite : mais quest-ce une « malédiction » ? De nos jours cela pourrait être interprété comme une information (trace énergétique) pathogène héréditaire ; nous devons penser que durant des siècles les syndromes organiques héréditaires comme lhémophilie, lAlpha-thalassémie, ou les affections métaboliques, ont engendré des monstruosités typiquement évidentes. De même que les malédictions devaient ressembler à des affections quaujourdhui nous pouvons définir dintérêt psychiatrique, caractérisées par des conduites répétitives destructrices et/ou autodestructrices. Donc, lexistence de cet homme appelé dipe est influencée par la présence dun conditionnement ancestral. De retour à Thèbes, Laio épousa la fille de Meneceo, Giocasta, mais après le mariage, un oracle lavertit quun fils né de Giocasta le tuerait Laction de loracle est réellement celle dune voix mystérieuse (étymologiquement la parole oracle dérive du latin orare) dorigine divine qui donne des réponses sur des faits survenus dont on ne connaît par la provenance ; à ce jour, cela serait dune manière plus prosaïque défini une intuition, cest-à-dire le fait dapprendre souvent sous la forme dun flash de reconnaissance, la nature dune situation inconsciente. Lorsque Giocasta mit son fils au monde, Laio perça deux trous sur les pieds de lenfant (peut être pour lexposer aux intempéries en le suspendant, ou pour le faire mourir perdant tout son sang ou pour éviter quaprès la mort son esprit puisse marcher) et il remit le corps à un berger de Thèbes qui reçut linstruction de labandonner sur le Mont Citerone Oedipe signifie « pied enflé ». A ce sujet il y aurait plusieurs observations à faire. Tout dabord la remarque au sujet de laction accomplie par le père de léser une partie du corps de son fils. Il nest pas difficile de reconnaître dans ce geste la représentation dissimulée du geste de la castration. Il ne faudrait pas penser que lon se trouve face à un vécu psychique totalement détaché de faits réellement survenus. En 1874, Darwin supposa lexistence, dans lantiquité, dun type dorganisation sociale dénommée « Horde primordiale » dans laquelle les êtres humains vivaient en petits groupes et sur lesquels dominait un homme fort, violent et jaloux qui sappropriait de toutes les femmes avec lesquelles il couchait, les tenant éloignées des propres enfants et dautres jeunes garçons, qui étaient souvent punis, lorsquils menaçaient sa domination : la castration ! Toujours Freud supposa, que le fait de la répétition tout au long du chemin évolutif de lêtre humain de tels événements traumatiques, laissaient chez lindividu une trace mnésique dans laquelle lévénement dorigine, réellement consumé avait été usé /consommé, et substitué par des représentations monothéistes et fantasmes inconscients (Psychologie des masses et analyses du Moi 1921 lHomme Mosé et la religion monothéiste, 1934-1938). Le détail du pied (par ailleurs présent dans de nombreux mythes et uvres littéraires, si lon peut penser seulement au très célèbre « talon dAchille ») se présentera encore dans le mythe ddipe. Pas seulement cela; le nom ddipe (pied enflé ») exprime une certaine caractéristique généalogique-familiale ; dipe est boîteux », descendant dEfèsto « le boîteux » (Véronique Caillat : « Mito et inconscio », Bollettino dellIstituto Italiano di psychanalyse, N° 17, 1994). Donc, le père, Laio, blessa et éloigna de soi son fils, tentant de léliminer. Le berger de Thèbes chargé par le Roi Laio de le débarrasser ddipe lui désobéit et le confia à un berger de Corinthe. Ce dernier lamena au Roi Polibo qui, étant sans progéniture, ladopta lui donnant le nom ddipe Le salut ddipe est par conséquent dû à la rencontre fortuite avec un homme sans descendance, Polibo, Roi de Corinthe qui représentait la seule solution au drame oedipien : séloigner des consanguins pour diriger les propres poussées pulsionnelles vers lextérieur du système familial. Un jour, durant un banquet, un jeune tournait dipe en dérision parce quil ne ressemblait pas à ces parents, insinuant quil pourrait être un bâtard, et pour cela dipe se rendit à lOracle de Delphes afin de linterroger au sujet de ses origines réelles A présent nous vous décrivons une situation assez commune de lenfance de chacun dentre nous. Il ne sera pas difficile de se souvenir à quel point les offenses les plus brûlantes quéchangent les enfants sont celles relatives aux doutes quant à lauthenticité de la paternité. Ce vécu puis, fait son chemin, largement diffus jusquà pouvoir le définir Roman familier de Freud, qui exprime la révision que lenfant fait de linfidélité de sa parenté. Dans une des plus diffuses versions du fantasme, lenfant croit avoir été en réalité généré par un autre couple, en général des personnes de rang noble ou socialement élevé, lenfant aurait été séparé dans sa petite enfance de ses parents quil aura la possibilité de retrouver un jour. Le roman familial absout diverses fonctions de léconomie psychique vis-à-vis du mystère des origines. Pour linstant nous nous limiterons à déclarer que tel complexe de fantasme permet de mitiger lintense sentiment de culpabilité nourri par le désir de possession sexuelle des parents, tout en excluant la nature incestueuse (« Si je suis un enfant trouvé, eux, que je désire, ne sont pas mes parents »). dipe fut informé par lOracle dêtre destiné à tuer le propre père et à épouser la mère et les Prêtres de lOracle léloignèrent, frémissant de dégoût Dans ce passage la perception inconsciente de la poussée sexuo-agressive est dirigée vers les propres parents ; dans la version plus connue de ldipe (dipe positif) lenfant de sexe masculin désire inconsciemment sunir charnellement avec la mère. Pareillement, la réalisation de tel désir incestueux le pousse à adresser ses poussées agressivo-destructives vers le rival : le père. Le dégoût exprimé par les Prêtres est la représentation de la révulsion que de tels désirs inconscients rencontrent lorsquils effleurent la conscience et de lactivité du jugement moral qui sest déroulée dans le compartiment ultra spécialisé du Moi dénommé Surmoi. Convaincu d’être le fils de Polibo et de la Reine Merope, Œdipe, tentant de fuir son destin décida de s’éloigner de Corinthe et de ne plus jamais y retourner, il se dirigea vers la Beozie. Mais durant son voyage arrivé à un croisement, il rencontra un étranger (le Roi, son père) qui voyageait à bord d’un coche. Le cocher de Laio ordonna à Œdipe de céder le passage mais ce dernier refusa. Le cocher alors le blessa à un pied avec une roue et le battit avec un bâton. Œdipe, au comble de la fureur le tua ainsi que les autres y compris son vrai père, à l’exclusion d’un serviteur qui réussit à s’échapper. Lappareil psychique ne reste pas désarmé face aux conflits qui trouvent leur origine à travers les poussées pulsionnelles, les interdits moraux et les existences réelles, mais entreprend des tentatives de médiation ou de défense qui tendent à sorganiser selon des modalités de répétition se structurant avec la répétition des événements traumatiques de génération en génération. dipe cherche à détacher le drame conflictuel utilisant un efficace et élémentaire mécanisme de défense. Mais, de même que dans le mythe une telle tentative de fuir le propre destin se heurte dans la rencontre accidentelle à un carrefour avec le Rival et de ce fait, dans la vie réelle, lenfant malgré les efforts quil fera pour éloigner la tentation oedipienne ne pourra réaliser concrètement la fugue et comme dipe, il retrouvera ses parents à tous les angles de son existence. De plus il ne faut pas oublier que même sil était possible de réaliser un éloignement physique de lobjet incestueux il nest certainement pas possible de fuir au propre monde intérieur et aux propres désirs inconscients. Il se mit donc en rapport avec le Sphinx (« lEtrangleuse », monstre ailé avec une tête de femme et le corps dun lion qui pose aux humains imprudents qui osent sapprocher de lui, une énigme qui implique dans le fond une réponse quelque peu simple mais à laquelle, personne jusquà présent na su donner une explication. Personne avant dipe avait été en mesure de résoudre larcan ; pourquoi une telle résistance? Evidemment la perception de la fragilité de lêtre humain, de la caducité de la vie et la représentation angoissante de cette parabole décroissante qui est lexistence humaine produit dans chaque être humain une réaction de déni qui aveugle lesprit et empêche la prise de conscience de la crue réalité : la vie est une expérience sans fin qui saccomplit avec les transformations douloureuses et qui se conclut inévitablement avec la mort. Parce que Laio était mort et que le Sphinx affligeait un peu plus la population, le Régent Creonte offrit le trône et la main de sa sur Giocasta, veuve du Roi Laio à quiconque répondrait à lénigme et de ce fait libérerait ainsi la ville du cauchemar provoqué par le Sphinx. dipe répondit à lénigme : « Cest lhomme, qui marche a quatre pattes lorsquil est enfant et qui puis, sappuie sur une canne lorsquil est âgé ». Thèbes fut libérée du Sphinx et de la calamité mais la prophétie rabâchée et pompeuse sétait réalisée ; dipe avait tué son propre père et il sapprêtait à coucher avec la mère. Lun des aspects le moins mis en évidence par les divers chercheurs qui se sont occupé de lhistoire ddipe est le rôle de Giocasta. Si nous pouvions nous représenter de visu le parcours (même physique) ddipe dans le cours de la parenthèse temporale décrite par le mythe (et aujourdhui il nous serait possible de le faire sans aucune difficulté à laide dun simple computer multimedia) nous trouverions un point dattraction dans lequel les diverses trajectoires tendent à confluer, Thèbes et au centre Giocasta. La Reine est un point dattraction passif, au fond, elle nagit pas, elle attend que les événements saccomplissent, que le dynamisme de laction tourne à son origine, le vagin-utérus-andro qui généra dipe et que le jeune convoite dans son inconsciente erreur, la porte vers lOrigine et la Fin, lentrée au sans nom, au sans forme, au Vide, moteur propulsif de tout ce qui existe. A ce sujet, écoutons attentivement le commentaire dune jeune femme en micropsychanalyse qui se confronte avec le Mythe : « dipe, nonobstant sa force, fera à la fin, sans le savoir, ce quil ne voulait pas faire. Quelque chose, une force terrible le poussait vers la mère qui lattendait passive au début et passive à la fin ». Après les événements complexes qui portèrent dipe à la reconnaissance de la terrible vérité, Giocasta se pendit et dipe se creva les yeux Si dans ce passage, lexpiation à travers le suicide et lautomutilation est exprimée directement, souvent dans la vie réelle les désirs incestueux déterminent des conduites dexpiation autopunitives plus dissimulées : lélaboration, selon le terrain de lanalysé, peut prendre une route psychique (troubles dimpotence sexuelle, idées obsessives, manifestations hystériques, etc., ou une route somatique avec la construction de maladie sous différents aspects et gravité. Voilà la prise dacte du phénomène de la part dune jeune femme en micropsychanalyse, malade gravement depuis des années suite à divers problèmes ostéo articulaires : « Cette maladie mempêche de devenir grande, dêtre contente dêtre une femme. Dans tout cela il y a lEnnemie : ma mère. Elle ma écrasée et continue à le faire pour mempêcher de devenir grande. Cest une douleur qui mempêche davoir des rapports sexuels, une douleur qui me prive davoir des enfants et je souffre chaque fois que je me souviens dêtre une femme. » Thèbes fût fondée par Cadmo, fils dAgenore, Roi de Fenicia en rapport avec les événements suivants :
A présent que nous avons récupéré un matériel aussi riche et important nous pourrons faire quelques observations schématiques utilisant le tableau suivant :
Relisant la colonne de droite nous pourrons nous familiariser avec un schéma dynamique qui se répète et qui peut être résumé dans la séquence attente-poussée (agressive ou sexuelle ou sexuo-agressive) attente-construction. Le mythe semble nous montrer une situation imprévue ; le conflit sexuo agressif est important dans le démembrement dune situation statique qui tendrait à un appauvrissement du système alors que son élaboration conduirait à la naissance de tentatives vitales. Certes cela nous trouve impréparés face à cette lecture du mythe mais toute la complexe histoire ddipe, qui est puis lhistoire de lhumanité, semble nous montrer que de tels événements pris isolément peuvent laisser apparaître la souffrance endurée dans leur dynamisme, et constituent une trame vitale qui pousse lhumanité, dans la succession des générations, à la mise en acte de tentatives neutres dans leur essence et finalité. La seule minuscule, colossale performance qui est consentie à lêtre humain : tenter, quoi que ce soit, nimporte comment, transformer la tension; laisser des traces. Lhistoire de lhomme qui sappelait dipe, qui est lhistoire de chacun de nous, est lhistoire dune souffrance qui nous fait vivre, interrompt la continuité et introduit des tentatives discontinues qui ont un simple nom : vie. Désirant nous exprimer en termes colorés,cest un peu comme la désormais décharge électrique (ou la foudre) qui parcourant le bouillon de culture primordial greffe la protoréaction vitale ; en termes plus prosaiques le catalyseur des phénomènes dorganisation 1 .
Ecrit par: Quirino Zangrilli © Copyright Autres articles en français du même Auteur...
NOTE: 1 - Comme cela peut se produire il y a aussi un autre niveau d’explication des phénomènes qui se rapportent au premier abord au plan biologico-comportemental de l’histoire du développement phylogénétique de l’humanité. L’universalité et la tenace persistance de l’Œdipe castration s’appuie à mon avis sur sa fonction stratégique de sauvegarde de la survivance de l’espèce humaine : Œdipe, législation phylogénétique qui pousse vers l’inceste, a rendu possible l’existence même de l’humanité grâce à l’accouplement entre consanguins dans de petits groupes et dans des conditions environnementales extrêmement difficiles. Comme tel il est inscrit dans le psychisme, comme mécanisme primaire de conservation de l’espèce et ne peut être totalement abandonné.
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