Le présent article a été publié dans le N° 4 du Bulletin de lInstitut italien de Micropsychanalyse
Labsorption consciente de quelque substance capable de provoquer une modification de léquilibre psychique et/ou somatique de lorganisme (médicament) correspond toujours à une situation profonde qui va bien au-delà dun état symptomatique ou douloureux.
Dans le travail « Le cas de Sarah » jai cherché » à démontrer comment labsorption dopiacées correspondait à la nécessité de neutraliser les angoisses liées à de précoces vécus traumatiques de rejet dorigine intra-utérine.
A présent je chercherai à analyser la nature du noyau traumatique qui nourrit le désir dabsorption dalcool. Il est intéressant de toutes les manières de ne pas oublier quelques effets pharmacologiques de ce dernier.
Lalcool fournit 7 calories par gramme, alors que les gras en fournissent 9 et les protéines et les carbo-hydrates 4. Les alcooliques prennent probablement sous forme dalcool toutes les calories dont ils ont besoin » (D. R. Laurence, Farmacologie clinique, 1968). De plus, lalcool provoque la vasodilatation périphérique abaissant le centre vasomoteur et cela explique la sensation de chaleur que lon ressent après son absorption. Dautre part, la même vasodilatation périphérique comporte une augmentation de la déperdition de chaleur à travers la superficie corporelle avec importante diminution de la température du corps ; donc, à la sensation passagère de chaleur suit une sensation finale de froid. Dans létat asthmatique, lalcool est recommandé comme sédatif du fait quil ne gêne pas la respiration, pris à doses thérapeutiques et peut avoir un certain effet broncho-dilatateur. Dans une première prise, en synthèse, une dose dalcool déclenche une sensation de chaleur interne, une première sédation, une nette amélioration des fonctions respiratoires : cest cette sensation de « chaude tranquillité » que lalcoolique recherche.
Au cours de nimporte quel entretien avec des alcooliques, apparaissent systématiquement des expressions telles «sensation insupportable de froid interne», « gel contre lequel on ne peut rien faire », «gel du côté du cur », qui à mon avis, non seulement sont utilisées pour décrire un vécu psychologique, mais constituent également un recours forcé ou mieux encore, limage dune situation réelle psychosomatique. Je veux effectivement soutenir quune situation réelle de brusque variation de la température corporelle, difficulté respiratoire et déprivation énergétique, doit effectivement sêtre produite dans la vie de ces personnes.
Dans un récit intéressant de 1929, Ferenczi prenait en considération trois cas cliniques, deux dasthme bronchial et un dalcoolisme chez une jeune femme et il faisait remonter leziopathogénèse au fait quelle faisait partie des « hôtes indésirables de la famille ». Tout faisait penser que ces enfants avaient perçu des signes, conscients ou inconscients, avec lesquels la mère manifestait son refus et son impatience à leur égard et pour cette raison il sétait produit une fracture au niveau de leur volonté de vivre ».
Ernest Jones dans son récit « Froid, maladie et naissance » est encore plus explicite : « Après la douleur de la naissance, la sensation dair froid quéprouve lenfant est certainement la démonstration la plus saillante de la « castration » quil a subi (ayant été privé du nid quil considérait précédemment comme faisant partie de son entité). La stimulation déplaisante que produisit ce changement de température bouleversa toute sa façon dêtre et cest de cette réaction (involontaire) que dépendait toute sa vie ».
A présent, il est évident que laccent que Ferenczi et surtout Jones mettent sur le côté somatique de lévénement a un aspect psychique parallèle ; je formule lhypothèse que ces enfants non désirés, maintenus en vie durant la grossesse dans le but dun investissement narcissique même si conflictuel de la mère, après la naissance, viennent privés de ce courant énergétique vital quest la libido. De plus, il est notoire que chaque être humain qui vient au monde passe dun environnement dans lequel la température est maintenue constante lutérus à un autre dans lequel elle est variable. Et pourtant non tous présentent les stigmates que Jones évoquait. Par conséquent, mon opinion est que le trauma déterminé par la brusque variation de la température doit sêtre consumé durant la grossesse et que linévitable variation de température des premiers moments de la vie postnatale pourrait offrir la possibilité dancrer sur une situation externe le quantum dexcitation incontrôlable déterminé par ces traumatismes intra-utérins.
En ce qui concerne le ftus, les centres hypothalamiques thermorégulateurs sont encore immatures et lui, se comporte absolument comme un animal hétérotherme ; c'est-à-dire, que ses capacités destinées à sadapter à des variations de température environnementale dépendent en totalité de la réponse maternelle. Encore à la naissance, les mécanismes thermorégulateurs ne fonctionnent pas et le petit enfant ne connaît pas encore le phénomène du frisson. Pour cette raison et pour le rapport élevé intercurrent entre superficie et masse corporelle, le nouveau-né est particulièrement exposé au refroidissement du corps. Il est très probable que ces petits enfants non seulement ont été abandonnés pendant un laps de temps considérable après la naissance, mais de plus ils ont subi à plusieurs reprises des tentatives non réussies de rejet qui, en dernière analyse se sont résolues dans la séquence : contractions utérines hypoxie placentaire, hypothermie du ftus.
Le désir dabsorber de lalcool est favorisé justement par ses actions pharmaceutiques transitoires : sensations de chaleur et damélioration de la fonction respiratoire et cela revient à dire tentative faillite de réparer les deux aspects du trauma intra-utérin : lhypothermie et l hypoxie.
Afin de mieux illustrer mes observations, jutiliserai du matériel tiré de la micropsychanalyse dune jeune femme venue me consulter pour un syndrome grave à fond parano mais qui révéla bien vite également une tenace conduite alcoolomaniaque.
Il est important de préciser que cette jeune femme avait été adoptée alors quelle avait un an environ, quelle ignorait lidentité de ses parents biologiques et quelle avait eu le destin de nombre de ces enfants adoptés, limpossibilité dharmoniser son terrain psychique constitué dimages phylogénétiques avec celui des parents adoptifs, avec lélaboration dun conséquent et permanent vécu de refus.
La phase initiale du travail micropsychanalytique se concentra en totalité sur le renforcement des mécanismes de défense primaires. Nous pourrions dire que dans le processus de construction du Moi qui saccomplit au début par projection des objets internes phylogénétiques, ces derniers navaient pu trouver asile dans lambiance familiale adoptive. La patiente avait donc eu recours en grande partie à lidentification-projection, mais en interagissant avec un environnement absent ou faussement présent, elle avait ingurgité dans son Moi des objets persécuteurs se résignant à vivre dans une dimension de limbes vides sans avoir la possibilité délaborer le détachement de la mère, ni du reste de celle dun redémarrage fantasmatique du narcissisme primaire.
Pour ce qui est de la première partie du travail, je métais gardé de toucher cette conduite symptomatique qui était, paradoxalement, lunique réaction qui lui consentait un équilibre précaire : lalcoolisme. Seulement lorsque son Moi fut suffisamment renforcé, je lui permis de se consacrer à lanalyse de son « penchant » pour lalcool. La patiente commença à agresser le noyau traumatique après une séance au cours de laquelle, maîtrisant ses résistances je commençai ce travail de prise de contact avec le vide constitutif qui est le principe fondamental de toute micropsychanalyse. « Jai froid, très froid, un froid total, absolu ; mais lorsque je touche ce froid je sens à nouveau en moi le désir de vivre pourtant il y a une partie de moi-même qui ne veut pas cesser de boire. Si au moins javais quelquun qui métreigne, qui me réchauffe, chaque fois que je tournais la tête et regardais ma mère (adoptive ndtr) je rencontrais son regard glacé ; jai limpression davoir toujours marché seule, seule dans lunivers ... Il suffirait que je mhabitue à ce vide, que je me rende compte que je ne peux tomber dans le vide. En ce moment je sens une étrange chaleur qui émane de mon estomac, une chaleur qui me remplit, la même chaleur que je recherche lorsque je bois, mais là cest une chaleur naturelle ».
Au cours des séances successives elle commença pour la première fois au cours de sa vie des recherches et réussit à contacter la mère et à la reconnaître. Cet événement lui permit de se confronter, de simprégner des images phylogénétiques de la branche maternelle qui auparavant lui apparaissaient étranges et persécutrices. Voilà du matériel produit successivement lors des rencontres avec la mère : « Hier, jai réellement eu limpression que je me sevrais de lalcool ; finalement je me suis sentie libre du besoin de boire, je suis heureuse de lavoir retrouvée, heureuse quelle mait acceptée, heureuse davoir découvert que dans son portefeuille elle conserve ma photographie
jallais dire quelque chose dabsurde : je suis heureuse davoir moi aussi une maman. A présent, je me sens chaude et heureuse ».
Effectivement cette rencontre marqua un pas décisif (et je désire préciser que la rencontre fondamentale est toujours celle de linconscient au niveau des images) dans le travail micropsychanalytique de la jeune femme qui par la suite, reprit plusieurs fois au cours de séances lexamen du noyau traumatique : « Au plus je me rapproche de la liberté au plus je tremble comme un petit chien dans son panier, seul, encore mouillé, dans lattente dêtre essuyé et réchauffé (ce matériel donne à penser que le trauma primaire sest répété successivement au cours de sa petite enfance toutes les fois que le nouveau-né attendait, mouillé, dêtre changé) en présence dun petit chien je joue toujours un jeu étrange ; je me concentre dans le fait que je veux lui transmettre de lamour, de la chaleur, afin quil ne tremble plus (cela est linvestissement libidinal : une transmission énergétique dun système à un autre). Si je reste dehors cest un peu comme si je navais pas de peau, sans protection, si je reste à lintérieur je me sens suffoquer et alors je reste immobile, immobile. Jéprouve ce sentiment : comme si quelquun voulait se défaire de moi avant que ce soit vraiment le moment
je sens la morsure du froid qui métreint et me fait partir ; je voudrais me retenir à quelque chose mais ce corps me pousse à partir et moi je me sens froide et sans peau. La colère qui nous habite est celle qui existe dans ceux qui naissent contre leur volonté et cest pour soulager cette colère que nous fumons, nous buvons, nous nous droguons ».
Pour conclure, il me semble pouvoir affirmer que lalcoolomanie trouve un terrain de développement plus fertile chez des sujets qui ont expérimenté des vécus traumatiques de rejet intra-utérins, dans lesquels, pourtant, le malaise psychosomatique du ftus sest exprimé surtout dans le binôme hypoxie hypothermie.
Dans le cas à lexamen, la même mère biologique confirma le revécu de la patiente admettant de sêtre soumise, sans succès à des pratiques abortives. La tentative ferme de réparer le narcissisme primaire vient renforcé par laction pharmacologique de lalcool, dans sa capacité transitoire et illusoire de fournir une « seconde peau » à travers la vasodilatation périphérique et la sédation initiale. La déperdition de chaleur qui en découle, par contre, détermine encore une fois une sensation de froid, réactivant le vécu traumatique primaire : un bel exemple de la puissance de la coaction à répétition.
Ecrit par: Quirino
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